24 – André Boulloche
Des résistants déportés beaucoup ne reviendront pas. Les rescapés marqués à vie, ont le devoir de témoigner car oublier serait trahir.
Le retour des déportés à la gare de Belfort vu par une petite fille de 10 ans. (Témoignage de Mme Fougeront, fille de Victor et Anna Heidet) – 2015
Dès avril 1938, un commando venu du camp de Dachau, commence l’édification d’un camp de concentration annexe. Le camp est situé à 800 m d’altitude au cœur d’une forêt, dans l’Oberpfalz (Haut-Palatinat bavarois), loin de toute grande ville.
On estime à 5 344, dont 965 femmes, le nombre de Français internés dans ce camp avant avril 1945. Parmi les 4 475 hommes recensés, au moins 2 400 sont décédés.
Le travail imposé concerne surtout deux domaines : d’une part l’industrie de l’armement, et en particulier l’aéronautique avec des usines Messerschmitt, et d’autre part les travaux dans les carrières de granit, le forage de tunnels et d’usines souterraines. En avril 1945, des milliers de déportés, dont la princesse Antonia de Luxembourg, évacués d’autres camps lors des marches de la mort, arrivent à Flossenbürg sans y être immatriculés.
De nombreuses personnalités de la Résistance allemande au nazisme y furent exécutées.
Deux dessins de Stefan Kryszak, survivant du camp.
(Source : en.wikipedia.org)
Il rejoint en janvier 1942 le groupe de résistance «Lorraine››.
Arrêté par la Gestapo le 23 décembre 1943, il est enfermé à la caserne Friedrich jusqu’en mars 1944. Transféré dans un premier temps à Compiègne, il est déporté avec Léon Delarbre dans les camps de concentration allemands d’Auschwitz, Buchenwald puis, dans son cas, à Flossenburg (Bavière). Il y effectue des travaux de maçonnerie et évite ainsi les terribles commandos de la carrière ou de l’usine d’avions Messerschmitt à l’intérieur du camp. Il est libéré par les Alliés le 27 mai 1945, après un an et demi de captivité et de privations.
Un résistant déporté
Le 3 janvier 1944, avec douze autres résistants, il est arrêté par la Gestapo. Comme tous les Belfortains dans ce cas à cette époque, il est emprisonné à la caserne Friederich. Il est transféré deux mois plus tard au camp de Compiègne d’où il sera déporté pour Auschwitz, le 27 avril 1944. Sinistre trajet de quatre jours et trois nuits en compagnie de mille sept cents hommes, entassés à cent par wagon plombé, sans lumière, sans air, presque sans vivres, sans rien à boire, et dans l’impossibilité de s’asseoir, faute de place. Il portera le numéro 185.409 tatoué sur le bras. Le 12 mai 1944, il est envoyé à Buchenwald où il reste environ cinq mois avant d’être envoyé, en octobre, au camp de concentration de Dora. Le 5 avril 1945, il est évacué vers Bergen-Belsen d’où il est libéré par les Britanniques le 15 avril.
Le devoir de témoigner
Delarbre comprend tout de suite que son talent d’artiste lui impose un nouveau devoir : rapporter un témoignage précis et objectif de cette vie monstrueuse et incroyable, pour que ses croquis pris sur le vif puissent fixer l’empreinte irréfutable d’une barbarie à ce jour sans exemple comme en témoigne Pierre Maho, camarade de déportation de Léon Delarbre à Dora. Dans ces différents camps Léon Delarbre réalise ses croquis, témoignages de l’horreur concentrationnaire. Ils sont griffonnés sur de minces bouts de papier, récupérés le plus souvent dans les bureaux du camp, enveloppes usagées, chiffons dérobés ou papier fourni par les secrétaires à qui, en échange, il fait le portrait. Comme le papier fourni n’est pas suffisant, Léon Delarbre multiplie les moyens de s’emparer d’un quelconque support comme les lambeaux de papier qui recouvrent les tuyaux de chauffage !
C’est une prise de risques considérable car les nazis veulent cacher à tout prix la réalité des camps. Pour dessiner, il fallait se cacher, travailler d’où l’on était, à contre-jour, couché, debout, abrité derrière les épaules d’un camarade, protégé contre les alertes possibles par un autre. Réaliser ces dessins est très dangereux. Pour se cacher, Léon Delarbre se tenait souvent derrière ses camarades, en maintenant le morceau de papier sur lequel il dessinait dans le creux de sa main. Si certains dessins ont été réalisés de mémoire en 1945, de retour en France, la plupart sont effectués dans les camps. Cela explique que quelques-uns de ces croquis soient tachés de soupe, souillés de boue, fripés. Porter des dessins sur soi était très risqué ; les laisser au block à la merci d’une perquisition était impossible ; les emmener au lieu de travail, à l’usine où des balayeurs faméliques auraient pu les trouver et les livrer contre une soupe à l’horrible Kapo Georg, était bien hasardeux. Il les cachait à l’atelier sous les planches de l’établi.
Delarbre, par des prodiges d’astuces et d’ingéniosité, a réussi à échapper à tous ces périls et à rapporter ces documents incomparables de vie et de vérité. Et pourtant, un soir, il crut bien tout perdre : le soir où il ne retrouva pas à sa place habituelle de travail, au hall 30 à Dora, l’établi sous les planches duquel il avait caché sa collection, et qu’un Meister de l’équipe de jour avait déménagé. Il lui fallut courir partout, sans laissez-passer, sans motif avouable, pour rechercher le trop précieux meuble et son trésor clandestin. Il le découvrit dans le couloir le plus fréquenté de l’usine : son ami B. fit le guet pendant que, muni d’une pince, Delarbre desserrait les planches et retirait sa liasse de croquis. Delarbre a fait preuve d’un immense courage pour conserver ses dessins qui pouvaient l’amener à la mort pour espionnage et propagande antinazie comme les cinquante-sept camarades qui, « tap en bouche » pour qu’ils ne puissent crier, sont montés six par six, le 21 mars 1945, sur les tabourets de la potence. » Le jour de l’évacuation de Dora, le 5 avril 1945, une boule de pain sous le bras, ses croquis sur la poitrine, il partit en transport pour une destination inconnue, vers l’Est. Cinq affreux jours, il resta dans un wagon sans toit avec cent compagnons, à peine vêtus sous la pluie gelée, sans nourriture, sans eau, sans espace suffisant pour s’asseoir, chacun luttant pour conserver sa place.
Il eut l’idée, dès son arrivée à l’hôtel Lutetia à Paris de confier ces documents à son ami Jean Bersier.