28 – Les trois Dugois
L’occupant et ses complices sont impitoyables envers les résistants et les FFI capturés.
René Fallas, un étudiant nancéen d’une vingtaine d’années, s’engage avec détermination contre l’occupant. Il prend le nom d’emprunt de René Magnin. Après des actes de résistance isolés, il entre, au début de 1942, en contact avec Marcel Leroy, un instituteur de 40 ans et ensemble ils fondent à Nancy, en avril 1942, le journal Lorraine. En septembre, le mouvement prend des contacts avec Paris, la zone sud et le BCRA. A la fin de l’année, Fallas part pour la Franche-Comté et à Montbéliard, dans le Territoire de Belfort et la Haute Saône, il organise militairement le mouvement Lorraine. Au printemps 1943, ce dernier est reconnu dans tout l’Est de la France et la Gestapo recherche les chefs « René » et un instituteur. Coups durs, en juillet l’imprimeur puis Leroy sont arrêtés. René Fallas va désormais s’engager davantage en Franche-Comté, plus active et plus dynamique que la Lorraine, sa région d’origine.
Parmi tous les mouvements de résistance, Lorraine est le plus actif à Belfort. En août 1943 le premier parachutage d’armes tant attendu permet de déclencher de grandes opérations de sabotage. La plus spectaculaire est sans doute celle de l’usine Alsthom qui fabrique 4 600 obus par jour pour l’Allemagne. Mais des imprudences sont commises et le filet se resserre. A l’automne, de nombreuses arrestations affaiblissent le mouvement. En octobre, une dizaine de partisans sont pris par une rafle à Belfort, une vingtaine à Montbéliard quelques semaines plus tard. René Fallas qui se sait traqué gagne Paris où il réimprime le journal Lorraine.
Henri Dugois est le responsable du mouvement dans le département du Territoire de Belfort en 1943, il est secondé par Roger Glasson. Arrêté le 10 décembre 1943, ce dernier est torturé mais ne parle pas. Il est fusillé le 27 février 1944 à la citadelle de Besançon. Le 27 février 1944, treize résistants de Lorraine pris à Belfort sont également exécutés. Le mouvement Lorraine est décimé mais des camarades remontent aussitôt un groupe à Belfort. En 1944, le mouvement participe à une préparation sérieuse de l’insurrection et les sabotages continuent. Il reçoit plusieurs parachutages successifs du BCRA, à Foussemagne, Plancher-les-Mines, Auxelles-Haut et Fontenelle. A la veille du débarquement, Lorraine s’est étoffé et a consolidé son implantation. C’est à ce mouvement qu’adhère Raymond Aubert.
De ces mouvements de résistance et principalement de Lorraine naissent au printemps 1944 les FFI du Territoire de Belfort. Ils regroupent dans une résistance militaire à peu près 700 hommes organisés en six compagnies sous les ordres de Pierre Dufay.
Pour éviter l’encerclement, l’abbé Dufay commandant des FFI du Territoire de Belfort, demande dans la nuit du 17 au 18 septembre 1944, aux trois compagnies de maquisards de décrocher séparément. Voilà une dizaine de jours qu’ils sont montés au maquis de la Haute-Planche et après l’enthousiasme et l’espoir, l’inquiétude les gagne. Repérés, isolés, coupés de tout ravitaillement, les FFI sont harcelés par les Allemands.
La 2ème compagnie, dirigée par le capitaine Perriaux, ne compte qu’une cinquantaine d’hommes. Pour elle l’objectif est le même que celui des deux autres groupes désormais autonomes : rejoindre la 1ère compagnie installée près d’Étobon. Le commando Perriaux se réfugie dans la forêt près de Chatebier. Mais les rapports des hommes envoyés en éclaireurs sont pessimistes, un régiment complet de « cosaques » sillonne le secteur et empêche toute jonction avec la 1ère compagnie. Les FFI attendent fin septembre, pendant près d’une semaine, une attaque alliée qui ne vient pas Le 30 septembre et le 1er octobre le commandant Perriaux décide alors, avec une trentaine de volontaires, de tenter une percée vers le sud pour rejoindre les armées alliées.
Le 2 octobre, à Granges-le-Bourg, le commando tombe sur un bataillon allemand au bivouac. Il est encerclé. L’échange de coups de feu est bref mais violent. Le capitaine Perriaux et Claude Dugois sont blessés. Seuls sept hommes parviennent à s’échapper, parmi eux le lieutenant Maryan Cylinski. Après s’être caché dix jours ce dernier parvient à rejoindre les armées alliées, intègre le 35ème RI et participera à la campagne d’Alsace puis d’Allemagne.
Le capitaine Perriaux et ses camarades capturés sont transférés à la caserne Friedrich à Belfort puis condamnés à mort. Ils font partie des vingt-sept résistants exécutés froidement par les Allemands le 10 octobre 1944 à Banvillars.
Cette photo est l’une des plus célèbres de la période de la seconde guerre mondiale. Publiée dans La jeune Alsace, en mai 1945, avec en exergue le poème d’Aragon « Ballade de celui qui chante sous les supplices » elle devient un symbole de la Résistance. L’originalité et la force de la photo sont dans le sourire que la victime arbore face au peloton d’exécution et face à la mort imminente. L’attitude du supplicié présente une France héroïque préférant la mort à l’oppression nazie. Ce cliché, mondialement connu, illustre alors nombre de manuels scolaires, des magazines, des livres d’histoire et a même été édité en carte postale en 1948. Gérée par l’agence Roger-Viollet, la photo connaît une vaste diffusion sans que jamais, quarante années durant, son origine, sa localisation et l’identité de la victime nous soient connus.
En juillet 1984, Christophe Grudler, journaliste au Pays de Franche-Comté à Belfort, s’attache à résoudre les énigmes de cette photo. Le témoignage de James Wood, photographe américain qui a passé ses années d’enfance à jouer dans les fossés du château de Belfort, permet d’ identifier le lieu où se déroule l’exécution : le Fort Blanc dans la partie des fossés aménagée par Haxo.
Un appel à témoins est lancé dans la presse pour identifier le fusillé. Plusieurs éléments intriguent, d’abord personne n’a eu vent d’exécutions au château de Belfort pendant la période. Ensuite, la tenue du fusillé et en particulier ses bottes ainsi que le peloton d’exécution avec un officier nu-tête et quatorze soldats pour un seul homme posent problème. Christophe Grudler est contacté par Jean Blind persuadé de reconnaître son père dans l’homme photographié. Mais il est mort dans un camp en Haute Silésie ! Ils reconstituent le fil des événements. Georges Blind, forgeron à l’Alsthom, intègre, en 1935, les sapeurs-pompiers de Belfort. Début 1941, il suit son chef de section pour intégrer le mouvement de résistance Corps franc Ferrand. Dans la soirée du 14 octobre 1944, Georges Blind est arrêté à son domicile par la Feldgendarmerie, quelques jours auparavant plusieurs membres du groupe étaient déjà tombés aux mains des Allemands. Conduit à la caserne Friedrich qui sert de prison et de lieu d’interrogatoire, il y passe plusieurs jours avant d’être amené à l’aube par une petite colonne de soldats à travers la ville au pied du château. A André Hatier, compagnon de déportation, il raconte cette aventure, ce simulacre d’exécution. Il pense que cette mise en scène était destinée à le faire parler et trahir. Le 24 octobre vers 17 heures, il quitte Belfort avec d’autres prisonniers pour les camps de Schirmeck (Alsace) puis Dachau.
Le soldat allemand qui a pris le cliché dépose ses pellicules chez un photographe amateur de Belfort, qui arrondit ainsi ses revenus. En découvrant la photographie d’exécution, Aloyse Ball, ému, effectue des tirages supplémentaires et les montre à son fils, directeur au Grand séminaire de Besançon et engagé dans la Résistance. Tous deux veulent connaître l’identité du supplicié. La guerre se termine, les membres du groupe Ferrand meurent en déportation. La photographie est prêtée par Joseph Ball à La Jeune Alsace. Ce journal fait une confusion entre le père et le fils et indique à tort que ce cliché a été subtilisé à un soldat allemand par un photographe bisontin. Seul un autre tirage confié par Joseph Ball à Denise Lorach pour le Musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon fait apparaître au dos la mention » Aloyse Ball, Belfort octobre 1944. » André Hatier, au retour des camps, rend visite à Madame Blind et lui raconte son périple commun avec Georges son époux et cette singulière et dramatique aventure.