20 – Le café Sassi

 

 

20Site N° 20

 

     A Valdoie, la famille Sassi a joué un rôle fondamental dans la résistance. Originaire d’Italie, elle a payé le prix fort au service de son pays d’adoption. Comme elle, les étrangers du MOI et de l’Affiche Rouge méritent tout notre respect.

(source : fonds privé Claude Gillet)

Registre VH Dino Sassi

Extrait du registre de Victor Heidet concernant Dino Sassi.

Registre VH Sassi Olga

Extrait du registre de Victor Heidet concernant Olga Sassi

Olga Sassi, (Témoignage de Paulette Monchablon, jeune femme vivant à Valdoie en 1944)  – 2015

 

 

Les résistants d’origine étrangère, le MOI

                   La M.O.I (Main d’Œuvre Immigrée) est le secteur du Parti Communiste qui regroupe les résistants d’origine étrangère. Le réseau des FTP-MOI a été fondé en mars 1942 par Boris Holban ; son vrai nom était Bruhman. Il était issu d’une famille juive qui avait fui la Russie. En mars 1942, Boris Holban met sur pied les FTP-MOI parisiens avec des équipes de Roumains, de Juifs polonais et d’Italiens,  un détachement spécialisé dans les déraillements et des services de renseignement, de liaison et de soins médicaux. Au total 30 combattants et une quarantaine de militants.

De juin 1942 à leur démantèlement en novembre 1943 par la Brigade Spéciale des Renseignements généraux (BS2), les FTP-MOI commettent à Paris 229 actions contre les Allemands. La plus retentissante est l’assassinat, le 28 septembre 1943, du général SS Julius Ritter, qui supervise le Service du Travail Obligatoire (STO), responsable de l’envoi en Allemagne de centaines de milliers de jeunes travailleurs français.

En août 1942, la direction nationale des FTP enlève la direction des FTP-MOI à Boris Holban car celui-ci refuse d’intensifier le rythme de ses actions. Il juge non sans raison que le réseau est au bord de la rupture. Il est remplacé à la tête du groupe par Missak Manouchian. Suite à une trahison, celui-ci est arrêté par la police française avec plusieurs de ses amis le 16 novembre 1943, à Évry Petit-Bourg, sur les berges de la Seine. C’en est fini des FTP-MOI.

 Missak Manoukian et l’affiche rouge

               L’Affiche rouge est une affiche de propagande placardée en France dans le contexte de la condamnation à mort de 23 membres des FTP-MOI de la région parisienne.  Accompagnée d’un tract, elle annonce l’exécution de 10 hommes du groupe Manouchian arrêtés par la police française. L’affiche se compose de deux séries de photographies l’une sur les hommes l’autre sur leurs actions. Un slogan : « Des libérateurs ? La Libération ! Par l’armée du crime ».

L'affiche rouge (Source : commons.wikimedia.org)

L’affiche rouge (Source : commons.wikimedia.org)

Noms des partisans figurant sur l’affiche et les « légendes » accompagnant la photo de chacun d’eux :

  • Boczow, juif hongrois, chef dérailleur, 20 attentats
  • Fingercwajg, juif polonais, 3 attentats, 5 déraillements
  • Witchitz, juif polonais, 15 attentats
  • Wajsbrot, juif polonais, 1 attentat, 3 déraillements
  • Elek, juif hongrois, 8 déraillements
  • Grzywacz, juif polonais, 2 attentats
  • Fontanot, communiste italien, 12 attentats
  • Rayman, juif polonais, 13 attentats
  • Alfonso, Espagnol rouge, 7 attentats
  • Manouchian. Arménien, chef de la bande, 56 attentats, 150 morts, 600 blessés 

L’affichage partout dans Paris fut accompagné par la diffusion large d’un tract reproduisant : au recto, une réduction de l’affiche rouge ; au verso, un paragraphe de commentaire fustigeant « l’Armée du crime, contre la France »

L‘affiche est une affiche de propagande qui vise à présenter les Résistants aux yeux de l’homme de la rue comme une bande de criminels étrangers. Couper l’opinion publique de la Résistance. La propagande nazie insiste sur l’origine étrangère de Manouchian et de ses compagnons.

 Les visages des résistants suscitent la sympathie et l’admiration. De nombreux anonymes déposent des fleurs au pied des affiches et collent des bandeaux sur lesquels on peut lire : « Oui, l’armée de la résistance » ou « Des martyrs » Les 23 victimes ont accédé au statut de héros.

Missak Manouchian, responsable des FTP-MOI de Paris à partir de l’été 1943, est né le ler septembre 1906 dans une famille de paysans arméniens d’un petit village en Turquie. Il a huit ans lorsque son père trouvera la mort au cours d’un massacre par des militaires turcs. Sa mère mourra de maladie, aggravée par la famine qui frappait la population arménienne. Agé de neuf ans, témoin de ces atrocités qu’on qualifie aujourd’hui de génocide. Recueilli comme des centaines d’autres orphelins par une institution chrétienne après avoir été hébergé dans une famille kurde, Missak gardera toujours le souvenir du martyre arménien mais aussi de la gentillesse des familles kurdes, ce qui le rapprochera, 25 ans plus tard, de ses camarades juifs de la résistance en France, eux-mêmes confrontés au génocide de leur peuple. Quand il arrive en France, en 1924, il apprend le métier de menuisier et adhère au syndicat communiste, la CGTU. Au Parti communiste, il fait partie du groupe MOI (Main-d’Oeuvre Immigrée).

Le réseau Manouchian était constitué de 23 résistants communistes, dont 20 étrangers, des Espagnols anti-Franco, des Italiens résistant au fascisme,  des Arméniens et des Juifs surtout échappés de la rafle du Rafle du Vélodrome d’Hiver de juillet 1942.

Suite à une trahison, Manoukian est arrêté par la police française avec plusieurs de ses amis le 16 novembre 1943, à Évry Petit-Bourg, sur les berges de la Seine.

Du 15 au 18 février 1944, 23 accusés comparaissent à Paris, devant une cour martiale allemande. Ils forment le noyau d’intervention, parmi un groupe de 68 francs-tireurs et partisans de la MOI incarcérés depuis trois mois et quotidiennement torturés. Le verdict tombe le 21 février au matin et, le jour même, tous sont fusillés au Mont-Valérien, à l’exception de la Hongroise Olga Bancic, qui sera décapitée à Stuttgart le 10 mai 1944.

Le mont Valérien est une colline quelques kilomètres à l’ouest de Paris. Le Mont Valérien a été le principal lieu d’exécution des autorités allemandes en France. Plus d’un millier d’otages et de résistants furent exécutés de 1941 à 1944. Dès 1944, grâce à la volonté du général de Gaulle et au travail des associations des familles des fusillés, il est devenu un lieu de mémoire. Le Mémorial de la France combattante y a été érigé en 1960.

Premier anniversaire de l’exécution du groupe Manouchian. les actualités françaises, 1945.(sources : INA)

En s’inspirant de la dernière lettre de Missak Manouchian à sa femme avant son exécution, Louis Aragon écrit le poème Strophes pour se souvenir en 1955, à l’occasion de l’inauguration de la rue du Groupe-Manouchian située dans le 20e arrondissement de Paris. Ce poème est mis en musique et chanté par Léo Ferré en 1959. Depuis il a très souvent été repris par d’autres chanteurs.

Ma Chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée,

Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, je n’y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais.
Que puis-je t’écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps.

Je m’étais engagé dans l’Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense.

Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous… J’ai un regret profond de ne t’avoir pas rendue heureuse, j’aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et d’avoir un enfant pour mon bonheur, et pour accomplir ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu’un qui puisse te rendre heureuse. Tous mes biens et toutes mes affaires je les lègue à toi à ta sœur et à mes neveux. Après la guerre tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l’armée française de la libération.

Avec l’aide des amis qui voudront bien m’honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d’être lus. Tu apporteras mes souvenirs si possibles à mes parents en Arménie. Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l’heure avec le courage et la sérénité d’un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n’ai fait de mal à personne et si je l’ai fait, je l’ai fait sans haine. Aujourd’hui, il y a du soleil. C’est en regardant le soleil et la belle nature que j’ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis. Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus. Je t’embrasse bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur. Adieu. Ton ami, ton camarade, ton mari.

Manouchian Michel.

P.S. J’ai quinze mille francs dans la valise de la rue de Plaisance. Si tu peux les prendre, rends mes dettes et donne le reste à Armène. M. M.

 

Vous n’avez réclamé ni gloire ni les larmes
Ni l’orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants

Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE

Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
A la fin février pour vos derniers moments
Et c’est alors que l’un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan

Un grand soleil d’hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant

Louis Aragon, Strophes pour se souvenir Le Roman Inachevé, Gallimard, 1955


Texte d’Aragon mis en musique par Léo Ferré en 1959.


Quarantième anniversaire de l’exécution du groupe Manoukian -interview de Méline Manouchian, épouse de Missak.  – Extrait de journal télévisé. Midi 2, 1984 (sources: INA)

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